PONTS ET CHAUSSEES
DEPARTEMENT DU JURA
SERVICE du Contrôle
ARRONDISSEMENT du Sud
2° SUBDIVISION de Lons-le-Saunier
Messin Sous-Ingénieur
Millot Ingénieur ordinaire
Barrand Ingénieur en chef
n° d'ordre du registre 703
A Lons-le-Saunier, le 7 septembre 1908
Tramway de Lons-le-Saunier à St Claude et à Arinthod
Contrôle de l'Exploitation
Tamponnement suivi de déraillement, en gare de Clairvaux,
le 3 septembre 1908, lors du croisement des trains 7 et 8.
RAPPORT DU SUBDIVISIONNAIRE
commissaire de surveillance
Prévenu par Monsieur le Directeur de l'Exploitation, le 4 septembre 1908, à six heures du soir, du tamponnement suivi de déraillement, survenu la veille, en gare de Clairvaux, lors du croisement des trains 7 et 8, nous nous sommes rendu le samedi 5, sur le lieu de l'accident, afin de procéder à une enquête et nous avons recueilli les renseignements suivants :
Le train 8 du 3 courant, venant de St Claude, mécanicien Dalloz, chauffeur Grosjean, chef de train Pouillard, est arrivé avant le train 7 en gare de Clairvaux, à 8h soir, avec dix minutes de retard. Après avoir déchargé ses colis, il rebroussa sur voie 2, puis sa locomotive n°322, se détacha du convoi pour aller prendre sur voie 3, deux wagons de marchandises. Le mécanicien ayant entendu siffler le train 7 qui arrivait, n'acheva pas sa manoeuvre et resta sur voie 3.
Le train 7, machine 320, mécanicien Bailly-Maître, chauffeur Plésiat, chef de train ponsot, était très lourdement chargé, car c'était jour de foire à Lons-le-Saunier. La machine de réserve avait dû faciliter sa marche, en le poussant jusqu'au sommet de la rampe à la sortie du village de Nogna.
Le mécanicien Blanc, machine 321, en stationnement à Clairvaux, avait reçu l'ordre d'aller l'attendre à Pont-de-Poitte, afin de lui aider à franchir les fortes rampes de Patornay et Boissia.
Le train 7, avec ses deux machines, locomotive 320 attelée à la 321, placée en tête, arriva au P.N. de Clairvaux avec vingt minutes de retard. Là, le convoi s'arrêta ; le mécanicien Blanc coupa derrière sa machine et alla se garer sur voie 4. Le train 7 entra ensuite en gare sur voie 1. Aussitôt ce train passé, le mécanicien Blanc qui devait faire le train 19 sur Foncine, se rendit devant le réservoir pour alimenter la machine 321. Pendant cette opération, le mécanicien Dalloz achevait la manoeuvre interrompue par l'arrivée du train 7 et conduisait les deux wagons de marchandises sortis de voie 3 pour les placer en tête du train 8, garé sur voie 2, mais en raison de la longueur supplémentaire de ces deux véhicules, quand le train 8 fut complètement formé, la machine 322 et le wagon couvert 98 qui la suivait, se trouvaient arrêtés sur le croisement des voies 1 et 2.
Le train 7 avait été délesté de quatre wagons en cours de route et au stationnement sur la voie 1, devant la agre de Clairvaux, il présentatit encore la composition suivante : machine 320 ; wagon haussette 637 ; wagons couverts 90, 97, 93 ; fourgon 108 ; voitures de 2° classe 44, 46, 32 ; grande voiture mixte 27 et enfin, en queue, voiture de 2° classe 45, soit en tout dix pièces, non compris la machine, formant une longueur de convoi de 74m00. Dans cette position, la tête du convoi se trouvait à 43m00 au-delà du quai couvert et il restait un espace libre de 6m00 entre la voiture de queue et la machine 321, en alimentation. Le chef de train ponsot du train 7, ayant à faire décharger le wagon n°637 placé derrière la locomotive, ne prit pas garde que la machine 321 s'alimentait, ni que le train 8 engageait la voie 1 ; il donna, au sifflet, le signal "en arrière" afin d'amener le wagon 637 en face du quai. Le mécanicien Bailly-Maître obeit. Blanc dont la machine était devant le réservoir, compris le danger. Il donna des coups de sifflet saccadés, mais dans le brouhaha de ce jour de foire, il ne fut pas compris ; il ne pouvait serrer son frein, car les voitures de voyageurs seraient venues se briser contre sa machine ; il s'éloigna mais très lentement, car il voyait la voie 1 barrée par la train 8. Il reçut donc le choc atténué du train 7 dont la machine continuait à appuyer. La locomotive 321 poussée et reculant, vint prendre en écharpe sur le croisement, le wagon 98 qui fut culbuté et la machine dérailla des six roues. Il n'y eut heureusement aucun accident de personne. Le chef de train Ponsot, tout en reconnaissant sa faute, dit qu'il n'a pas vu la machine 321, ses disques étant tournés vers lons-le-Saunier.
Le train 7, déjà en retard et bondé de voyageurs, continua sa marche sur St Claude.
Il était nécessaire de faire partir le train 8 le plus tôt possible. La machine qui descendait de Foncine poussa son train au-delà de l'aiguille extrême (côté St Claude) après le départ du train 7. La machine 322 du train 8 n'ayant pas déraillé, vint s'aiguiller au croisement des voies 1 et 4 pour aller prendre son train en queue et le conduire sur la voie 4, puis elle fit haut-le-pied, la manoeuvre inverse pour venir se placer en tête de son train qui put partir, laissant sur la voie 2, le wagon déraillé. Le train 19 rentra alors en gare et continua sa route sur Foncine. Ce n'est qu'à deux heures du matin que la machine 321 et le wagon 98 purent être remis sur les rails par le mécanicien Blanc aidé de l'équipe. Par suite de cet accident, le train 7 a subi trente minutes de retard ; le train 8, cinquante et le train 19, une heure.
Diverse responsabilités nous paraissent engagées, savoir :
1°- Indépendamment de la longueur excessive du train 7 qui dépassait la limite réglementaire de 60m00, l'absence d'éclairage aux abords du réservoir occasionnera assurément d'autres accidents. si ce point avait été bien éclairé, le chef de train aurait vu la machine 321. Voilà pour la responsabilité de la Cie C.F.V.
2°- Le mécanicien Blanc a une responsabilité très légère, car quand une machine haut-le-pied fait une manoeuvre de nuit dans une gare, il est d'usage d'avoir au moins un disque en avant et l'autre en arrière, si l'art 9 du règlement général n'est pas strictement observé. Blanc n'avait aucun feu à l'arrière de sa machine.
3°- Le mécanicien Dalloz et le chef de train Pouillard du train 8 ont commis une faute plus grave, car la tête du convoi ne devait pas stationner sur le croisement des voies 1 et 2. Si Pouillard n'ordonnait pas au mécanicien Dalloz de dégager la voie 1, ce dernier aurait dû lui en signaler la nécessité.
4°- La plus lourde responsabilité incombe au che f de train Ponsot du train 7, qui ne s'est pas assuré que la voie 1 était libre à l'arrière, avant de faire refouler le convoi. Si la machine du train 8 avait été suivie d'une voiture de voyageurs au lieu du wagon 98, il y aurait eu un grave accident de personnes.
Mais comme cet agent est assez dévoué, il y a lieu d'être un peu indulgentà son égard, pour cette première faute grave.
Enfin, il y a lieu de reconnaitre que l'aménagement de la gare très importante de Clairvaux, donne lieu à des manoeuvres compliquées et dangereuses, lors du croisement des trains 7 et 8. L'établissement d'une voie d'évitement devant la station, simplifierait beaucoup ces manoeuvres et atténuerait les risques d'acidents.
Le Sous-Ingénieur
Vu et transmis par l'Ingénieur Ordinaire Soussigné, Lons-le-Saunier le 15 septembre 1908
AVIS DE L'INGENIEUR EN CHEF : L'Ingénieur en chef approuve les conclusions du rapport précédent qu'il notifie à la Compagnie Générale des C.F.V. Des ordres sont donnés pour étudier l'établissement d'une nouvelle voie de garage dans la gare de Clairvaux.
L'Ingénieur en Chef
copyright Elie Mandrillon 2005