Le réseau des C.F.V. du Jura

Rapport de gendarmerie, suite à l'accident du 11 février 1941

7° LEGION bis

Compagnie du Jura

Section de Lons-le-Saunier

N°150

du 11 février 1941

PROCES VERBAL constatant le déraillement d'un train de marchandises des C.F.V., dans la traversée de Conliège, un blessé.

GENDARMERIE NATIONALE

Ce jourd'hui, onze février mil neuf cent quarante et un à dix neuf heures ;

Nous, soussignés, TISSOT (Adrien) Adjudant, RAVET (Jules), JEANNEROD (Georges), BLONDEAU (Joseph), MULLATIER (Pierre), VAUDIN (Octave), COLLE (Ferdinand), et MARTIN (Camille)

gendarmes à la résidence de Lons-le-Saunier, département du Jura, revètus de notre uniforme et conformément aux ordres de nos chefs, étant à notre caserne avons été informés téléphoniquement qu'un grave accident venait de se produire à Conliège, un train de marchandises de la Compagnie des Chemins de Fer Vicinaux du Jura, qui venait de la direction de Revigny, avait déraillé dans le village.

Après avoir informé notre Commandant de Section, nous nous sommes immédiatement rendus sur les lieux et avons fait les constatations suivantes :

CONSTATATIONS :

La locomotive du tramway n°16 était arrêtée dans la traversée du village de Conliège, avec deux wagons dont le premier était chargé de plateaux de chêne. Sur le deuxième il ne restait que deux traverses et une planche.

À une centaine de mètres plus loin, deux wagons sont couchés en travers de la route sur le côté droit, un troisième est déraillé et se trouve en oblique sur la route l'avant chevauchant l'arrière du précédent. Trois autres wagons sont restés sur les rails et un neuvième s'est détaché du convoi et est allé buter contre le mur de l'épicerie GRENIER, après avoir traversé la route et le trottoir. Le mur de cette épicerie est endommagé. Une bicyclette est restée coincée entre ce wagon et le mur de cette maison.

De l'autre côté de la route, la maison GABET formant angle de la rue neuve, suivie par la voie avec la place du village est effondrée. Nous remarquons parmis les débris le chargement de plateaux de chêne du wagon resté avec la locomotive.

Nous nous sommes informés immédiatement des victimes de cet accident et avons appris qu'un cycliste de passage, M. PELISSARD de Revigny avait été blessé et transporté à la clinique du Jura à Lons-le-Saunier. M. le maire de Conliège qui se trouvait sur les lieux où il organisait les secours, nous a fait connaitre que la maison GABET dont une aile s'est écroulée était occupée par deux femmes Mme GABET et sa fille, mais que par un heureux hasard celles-ci ne se trouvaient pas dans la partie de l'immeuble détruite, au moment de l'accident.

Après avoir acquis la certitude qu'aucune personne ne se trouvait en danger nous avons avisé M. le Procureur de la République, avons fait couvrir la circulation dans les deux sens, en même temps que nous assurions la garde des marchandises.

Le premier wagon renversé contenait une importante quantité d'articles de tournerie, que des volontaires chargeaient sur des voitures pour les conduire dans un local fermé.

Une autre équipe de travailleurs dégageait les lames de parquet qui formaient le chargement du deuxième wagon couché en travers de la rue et rangeait cette marchandise en lieu sûr.

Nous avons de suite relevé un plan de l'accident et procédé à une enquête sur ses causes. D'après les premiers renseignements recueillis, il résulterait que l'accident est dû à un défaut de fonctionnement de la pompe à air des freins Westinghouse. Ceux-ci n'ont pas fonctionné et le mécanicien n'a pu rester maître de la vitesse de son train.

À l'endroit où l'accident s'est produit, la voie est en légère déclivité. Dans le tournant situé sur la place de Conliège, la vitesse du train était telle que les chaines amarrant le deuxième wagon se sont rompues. Le chargement de ce wagon composé de plateaux de chêne d'un poids total de 8 tonnes environ, a été projeté du côté du grand rayon du tournant. Il a heurté au passage l'angle de la maison de Mme Vve GABET qui s'est écroulée sous la violence du choc. Quelques plateaux ont été projetés sur une grille fermant la cour de la maison RENAD. Un côté de la grille a été arraché et des planches sont entrées dans le milieu de la cour. Les attaches du troisième wagon se sont rompues, celui-ci a traversé la route, le trottoir et a été arrêté par le mur de la maison Grenier. Les deux wagons suivants, livrés à eux-mêmes ont déraillé et se sont renversés en travers de la route.

L'ingénieur en Chef des Chemins de fer vicinaux du Jura est arrivé sur les lieux, ainsi que le Parquet de Lons-le-Saunier, notre Commandant de Section et M. MASSON, directeur des C.F.V.

Une section du 151° Régiment d'Infanterie demandée au Commandant de la Place par notre Commandant de Section est arrivée à Conliège et s'est employée activement aux travaux de déblaiement et à la surveillance des lieux.

Le 12 février 1941, à 1 heure du matin, la circulation a pu ètre rétablie.

Cependant, pour garder le mobilier de la maison sinistrée, ainsi que les marchandises restées sur place, un service de garde a été organisé en permanence par nos soins.

La locomotive a été saisie et placée dans un local du garage de la gare des Bains.

ETAT DES LIEUX

L'accident s'est produit au centre du village de Conliège à la sortie d'un virage situé sur la place de cette localité.

La voie du tramway longe la rue neuve sur toute sa longueur. Celle-ci mesure au total sept mètres de largeur et elle est bordée de chaque côté par des trottoirs d'un mètre de large.

La voie ferrée suit le côté Nord de cette rue à 0 mètre 90 du trottoir. Elle mesure elle-même 0 m 87 de largeur. Elle était en bon état.

Nous avons recueilli les déclarations suivantes :

de M. Mouchanat (Gustave), 56 ans, mécanicien à la Compagnie des Chemins de fer Vicinaux du Jura, demeurant 4 rue Tamisier à Lons-le-Saunier (Jura), né à Saint Maurice de Remens (Ain), le 13 mars 1887, des feux Louis et FLAMAND (Marie), marié, cinq enfants, sachant lire et écrire, élevé par ses parents jusqu'à sa majorité, se disant sans condamnation, ni décoré, ni médaillé, qui déclare :

"Je suis à la Compagnie des chemins de fer vicinaux du jura depuis 27 ans et j'exerce les fonctions de macanicien depuis 1920. Il ne m'est jamais arrivé d'accident.

"Hier 11 février 1941, j'ai pris mon service à 12 heures 30', en gare de Lons-le-Saunier, pour conduire un train de marchandises à destination d'Orgelet. A la gare de cette localité, nous avons pris six wagons, dont quatre chargés de planches, et deux couverts, chargés d'objets divers de tournerie. De la je suis allé chercher deux wagons de sable à la carrière de Boissia. A Pont-de-Poitte, j'ai pris un couplage de madriers. A la bifurcation, j'ai formé mon train c'est-à-dire 4 wagons de planches, le couplage, le wagon de sable, car l'autre est resté à cette gare et les deux wagons de détail de tournerie, soit au total neuf wagons. Rien n'a été pesé, cependant j'évalue le poids à 120 tonnes. La machine pèse 20 tonnes environ.

"Je me suis mis en route vers 18 heures 30', pour rentrer à Lons-le-Saunier. Entre la gare de la bifurcation et celle de Saint Maur, j'ai fait l'essai des freins comme je le fais habituellement. Tout était normal les freins ont agi. Dans la descente des Monts de Revigny, j'ai même marqué l'arrêt du passage de Publy. A une cinquantaine de mètres avant d'arriver à la gare de Revigny et au poteau prescrivant de ralentir, je me suis aperçu qu'il y avait quelque chose à la pompe à air, car il m'a été impossible de la faire fonctionner. Le manomètre est tombé à zéro. La vitesse était encore normale, mais ne pouvant pas m'arrêter en gare de Revigny, comme prévu, j'ai demandé au chef de train Sainte Barbe qui était près de moi, d'aller serrer les freins ce qu'il a fait. Pendant ce temps là pour tenter de m'arrêter, j'ai renversé la marche en actionnant le régulateur et la sablière. Entrainé par le poids du convoi, je n'ai pu m'arrêter. J'ai actionné le sifflet d'alarme jusqu'au moment de l'accident. Je suis arrivé à Conliège en faisant au moins du quarante kilomètres à l'heure. Les chaines du billage du deuxième wagon s'étant rompues, le chargement a été projeté contre le mur de la maison de Mme Vve GABET, provoquant l'effondrement. Des plateaux étant tombés également sur la voie, ont déterminé le déraillement de quatre wagons.

"L'un des wagons, le troisième, a traversé la route pour s'arrèter davant la maison Grenier, les quatrième cinquième et sixième sont sortis des rails. Les deux premiers se sont renversés au milieu de la route en oblique. J'ai pu m'arrèter à environ cent mètres plus loin avec deux wagons. Le personnel du train est sorti indemne de l'accident, toutefois, le chef de train Sainte Barbe, a été légèrement blessé aux deux poignets.

"Aussitôt, je suis descendu de ma machine pour me rendre compte de ce qui s'était produit, c'est alors que j'ai constaté la position des wagons comme je l'ai indiqué.

"J'ai appris par la suite que Pélissard de Revigny avait été blessé.

"Je n'ai jamais eu d'autres ennuis avec la pompe à air sauf qu'il est impossible de faire monter la pression à cinq kilos. Cette défectuosité a été signalée à plusieures reprises par mes camarades et moi au chef du dépôt ou à l'ajusteur LANCON. Cependant je dois préciser que l'accident n'est pas dù à cette particularité, car plusieures fois j'ai roulé avec cette machine sans incident. Il est possible que dans le cas qui nous occupe il y a eu rupture de segments qui a pu provoquer l'arrêt de la pompe, compliquée par la rupture possible d'un attelage.

"Un examen approfondi par un technicien déterminera les causes d'imperfection de la pompe précitée."

Lecture faite, persiste et signe.

M. TRAMU (Paul), 51 ans, contrôleur au C.F.V. du (Jura), demeurant 64, rue Saint Désiré à Lons-le-Saunier (Jura), déclare :

"Le 11 février 1941, j'ai utilisé le train de marchandises n°54, venant de la carrière de Boissia et Orgelet, se dirigeant sur Lons-le-Saunier.

"J'ai pris place dans ce train à la bifurcation vers 18 heures 20'. Ce train était conduit par le mécanicien MOUCHANAT aidé du chauffeur FAIVRE. Le chef de train était le jeune Sainte-Barbe qui réside à Conliège. Il était composé de neuf wagons dont le détail suit :

"1°- Wagon n°405, portant un chargement de plateau d'un poids de 8 tonnes environ. 2°- Wagon n°436, même chargement de plateaux de chène pesant de 9 à 10 tonnes, 3°- wagon n°111 chargé de détail de tournerie. 4°-wagon n°120, même chargement d'un poids de 2 à 3 tonnes, 5°- wagon n°643, avec un chargement de parquet de chêne du poids de 8 à 9 tonnes, 6°- wagon n°617, même chargement et même poids. 7°- Wagon n°649 chargé de sable, d'un poids de 10 tonnes, 8°- un couplage de pièces de sapin, wagon n°475 et 440 avec un chargement de 17 tonnes.

"Le voyage s'est effectué normalement jusqu'à la gare de Revigny et les Monts ont été descendus sans difficulté.

"À 150 mètres après cette gare, j'ai senti que le mécanicien avait des difficultés pour maintenir son train, Je ne me trouvais pas sur la machine, mais dans le wagon n°120. A cet instant, je suis sorti du wagon et j'ai suivi la rampe pour serrer le frein à main de cette voiture et je suis passé successivement sur les deux wagons de parquet pour en serrer les freins à main. La vitesse du train s'était considérablement accrue et pendant ces opérations très difficieles à effectuer en raison de la vitesse du train et de la nécessité de passer sur le chargement des wagons, le train est entré dans le vilage de Conliège. Je n'ai pu passer sur le wagon de sable car je n'en ai pas eu le temps.

"J'ai vu le chef de train Sainte-Barbe qui se trouvauit dans le wagon n°111 occupé à la même opération.

"Arrivé dans le tournant situé sur la place de Conliège, les chaines qui retenaient le chargement du wagon de plateaux n°436, ont dû se rompre et le chargement a été déporté par sa force d'inertie sur le côté droit où il a heurté l'angle de la maison située à l'angle de la place (angle de la rue neuve avec la rue haute). Le choc a fait dérailler plusieurs wagons. Les attelages du 111 qui était le troisième se sont rompus et ce wagon a traversé la route pour s'arrêter contre la devanture de l'épicerie GRENIER.

"Le convoi poursuivant sa route, les wagons 120 et 643 se sont renversés en travers de la route, tandis que le 617 a déraillé et a chevauché le 643 qui le précédait. Le 649 n'a pas quitté la voie, mais le train avant du 475 a déraillé de quelques centimètres seulement.

"La locomotive et les deux wagons qui suivaient dont le dernier avait perdu son chargement, ont poursuivi leur route une centaine de mètres, puis ils ont pu stopper sans quitter la voie.

Je me trouvais sur le marchepied du wagon 643 au moment où celui-ci s'est renversé. J'ai été projeté sur la chaussée sans autre blessure qu'une hanche endolorie et un accroc à mon pantalon.

"Sainte-Barbe qui se trouvait sur le 111 s'est dégagé avec quelques égratignures. Malheureusement, un cycliste a été heurét par ce dernier wagon et blessé assez gravement. Il a été transporté aussitôt à l'hopital de Lons-le-Saunier.

"L'accident est dû au défaut de fonctionnement de la pompe à air des freins Westinghouse.

"La chargement était normal pour un train de marchandises. Très souvent il nous a été donné de descendre des charges supérieures à celle de ce jour sans qu'il se produise le moindre incident."

Lecture faite, persiste et signe.

M. SAINTE-BARBE (Paul), 18 ans, chef de train à la compagnie des C.F.V. du Jura, demeurant à Conliège (Jura), rue haute, né le 23 janvier 1923 au dit lieu de Bernard et de Marguerite Paillard, célibataire, sachant lire et écrire, élevé par ses parents jusqu'à ce jour, sans condamnation déclare :

"Le 11 février 1941, je suis parti d'Orgelet avec le train de marchandises n°54 pour Lons-le-Saunier. Au départ d'Orgelet, nous avons emmené 4 wagons qui avaient été chargés dans cette gare, soit 2 wagons de tournerie et 2 de plateaux de chène. En passant à la gare de Dompierre, conformément aux consignes qui m'étaient données, nous avons attelé deux wagons de parquet de chène provenant de l'usine Faton. Nous avons conduit ce convoi à la gare de la Bifur, puis nous sommes allés à la carrière de Boissia où nous avons pris deux wagons de sable. Un de ces derniers a été laissé à la gare de la Bifur. Dans ce même voyage, nous avons pris un couplage de deux wagons de pièces de sapin à la gare de Pont-de-Poitte.

"Nous sommes partis de la gare de la bifur, à 18 heures 35', avec un train composé de 9 wagons d'un poids approximatif de 90 tonnes matériel compris.

"Ce chargement est tout à fait normal et il nous arrive de descendre à Lons-le-Saunier des chargements supérieurs à celui-ci.

"En descendant les Monts de Revigny pour arriver jusqu'à cette gare, le mécanicien MOUCHANAT s'est aperçu que la pompe à air du frein automatique Westinghouse, ne fonctionnait plus, il a essayé de s'arrêter à la gare de Revigny, mais sans pouvoir y parvenir. Il a renversé la vapeur, mais la machine s'est trouvée impuissante à arrêter le chargement. Quand il s'est aperçu de son impuissance, il m'a conseillé de passer sur les wagons pour serrer les freins à main. J'ai pu sauter sur le wagon 111 et y parvenir pour ce véhicule mais je n'ai pu le faire pour les autres wagons. La vitesse du convoi s'est considérablement accrue et nous sommes arrivés dans le village de Conliège à une vitesse que j'ai évalué à 70 kilomètres à l'heure. Dans le tournant situé sur la place la chaine qui attachait le chargement du 2° wagon, composé de plateaux de chêne, s'est rompue et les planches ont été déportées sur l'angle d'une maison qui s'est effondrée. L'attelage du 111 dans lequel je me trouvais s'est rompu sous le choc et celui-ci quittant les rails a traversé la route et est allé heurter le mur de l'épicerie qui se trouvait en face. J'ai pu sauter sur la chaussée au moment où ce wagon sortait des rails et je me suis fait des égratignures aux mains en tombant sur le sol. Les wagons qui suivaient ont continué, puis les deux premiers se sont renversés sur la route, le troisième chavauchant celui qui le précédait. Les trois derniers n'ont pas quitté la voie.

"Dès après l'acident, je suis parti avec une lanterne sur la voie pour faire des signaux à un train de voyageurs qui suivait et j'ai pu faire arrêter celui-ci au moment où il allait entrer dans le village de Conliège.

"Le mécanicien Mouchanat, a fait tout ce qui lui incombait et je ne pense pas qu'une faute puisse lui être reprochée.

"La cause de l'accident est le non fonctionnement des freins automatiques Westinghouse.

"La locomotive utilisée est une machine ancienne dont l'état de fonctionnement laissait à désirer. C'est à l'emploi de ce matériel usagé qu'est dû l'accident. C'est le mécanicien qui conduit le train qui doit vérifier le fonctionnement de son matériel. Je ne puis vous dire si la pompe à air qui alimente les freins Westinghouse a été vérifié et entretenue normalement."

Lecture faite, persiste et signe.

M. FAIVRE (Emile), 47 ans, chauffeur aux C.F.V. du (Jura), demeurant 11bis rue de la Paix à Lons-le-Saunier déclare :

"J'étais chauffeur sur la locomotive qui conduisait le train n°54, lorsqu'un déraillement s'est produit dans la traversée de Conliège le 11 février 1941 vers 19 heures.

"En descendant les Monts de Revigny, la marche du train a été normale, mais j'ai été surpris que celui-ci ne s'arrète pas à la gare de Revigny. Je me tenais à mon poste à l'arrière de la machine et le mécanicien se trouvait à l'avant de sorte que je ne pouvais me rendre compte de ce que faisait ce dernier au cours de la marche. MOUCHANAT, a renversé la vapeur à la gare de Revigny, mais le train ne s'est pas arrêté. La vitesse s'est accélérée tout de suite. J'ai entendu que le mécanicien actionnait son sifflet constamment pour signaler sa détresse.

"Il m'a été impossible de passer sur les wagons pour actionner les freins à main. J'ai vu SAINTE BARBE qui sautait de la locomotive et remontait sur un wagon pour en actionner les freins. Malgré cela, le train est entré à Conliège à une vitesse très grande et en passant au tournant situé sur la place, le chargement du 2° wagon s'est désaxé et a heurté le mur d'une maison qui s'est effondrée. Plusieurs wagons ont déraillé, tandis que la locomotive poursuivait son chemin pendant une centaine de mètres, pour finalement s'arrêter avec les deux wagons qui suivaient sans dérailler.

"C'est le défaut de fonctionnement de la pompe à air du frein automatique qui a été la cause de l'accident.

"J'ai déja entendu à plusieures reprises le mécanicien se plaindre du mauvais fonctionnement de la pompe à air de sa machine et il a dû signaler la défectuosité de cet organe."

Lecture faite, persiste et signe.

M. CHEVILLOT (Robert), 35 ans, horloger à Conliège (Jura), déclare :

"Le 11 février 1941, à 18 heures 45', je me trouvais devant la porte de mon habitation en compagnie de Pélissard (Ambroise) mécanicien à Revigny.

"Nous causions ensemble lorsque nous avons entendu venir le tramway qui sifflait sans arrêt. Nous avons fait la réflexion, qu'il sifflait d'une façon anormale. Au même instant, Pélissard s'est avancé pour prendre son vélo qui était appuyé contre le mur de l'épicerie Grenier, lorsque subitement, j'ai aperçu une masse noire qui venait dans notre direction. J'ai fait un bond en arière pour éviter d'être accroché, mais Pélissard a dû être heurté et projeté sur le trottoir où il est resté inanimé pendant quelques instants. Des personnes se trouvant sur les lieux l'ont pansé sommairement, puis il a été dirigé sur l'hopital de Lons-le-Saunier par un automobiliste du pays.

"Quant à sa bicyclette, elle a été coincée entre le mur et le tampon du wagon."

Lecture faite, persiste et signe.

M. GRENIER (Henri), 58 ans, épicier demeurant à Conliège (Jura) déclare :

"Vers 18h45 le 11 février 1941, je metrouvais dans ma cuisine lorsque j'ai entendu un fracas épouvantable.

"Je suis venu aussitôt dans mon magasin, et j'ai constaté qu'un wagon détaché du tramway était venu défoncé la devanture de ma boutique. Les dégâts sont assez importants, j'ai eu un carreau de cassé, tout le mur de la devanture a été lézardé et déplacé. Les boiseries sont faussées à un tel point que la porte ne ferme plus.

"Je ne peux évaluer le montant des dégâts qui ne peuvent l'être qu'après expertise."

Lecture faite persiste et signe.

Madame Vve. GABET, (Emile) née Chevassus, (Agnès), 76 ans retraitée demeurant à Conliège, (Jura) déclare :

"Le 11 février 1941, vers 18h45, je me trouvais dans ma cuisine en train d'écouter les informations, lorsque j'ai entendu subitement un bruit formidable de ferraille. J'ai pensé que c'était une bombe qui tombait sur notre maison, car je n'ai pas entendu le tramway venir. Je n'ai pas entendu le sifflement du train, ma fenêtre et le volets étant fermés.

"Je suis allée dans ma salle à manger, mais je n'ai pu ouvrir la porte. J'ai alors remarqué de la poussière dans le couloir de cette salle. Je suis sortie dans la rue par la fenêtre de ma cuisine. J'ai alors constaté que la façade du devant de la salle à manger était complètement démolie ainsi que les meubles qui se trouvaient dans ma maison. Les dégats sont importants. le mur est à refaire ainsi que les deux pièces qui renfermaient une partie de mon mobilier. Celui-ci consistait en une salle à manger, un buffet, une table ronde, six chaises, deux fauteuils, un fourneau, et une bibliothèque garnie.

"Au dessus de la salle à manger, j'avais une chambre à coucher où il y avait deux lits garnis, une armoire à glace pleine de linge, une commode, un fauteuil, trois chaises, une table ronde, et un petit fourneau de chambre. Je ne suis assurée que contre l'incendie. Je ne puis évaluer le montant des dégats qui ne pourront l'être qu'après expertise. Il n'y a pas eu d'accident de personne chez nous, et je n'ai pas été volée au cours des secours qui étaient organisés."

Lecture faite, persiste et signe.

Mr. NACHON, (Charles), maire de Conliège, (Jura), 43 ans, déclare :

"Dans la soirée du 11 février 1941, vers 19 heures, je me trouvais chez moi, quand j'ai entendu le Tramway dont le sifflet fonctionnait désespérément. Très inquiet de ce sifflement prolongé, je me suis rendu dans la rue principale de la localité, et j'ai constaté qu'un accident venait de se produire. Le tramway avait déraillé dans le tournant un peu en dessous de l'église.

"Mr. Pelissard, Ambroise, de Revigny a été blessé par les débris d'un wagon. J'ai commandé Mr. Bacherot de conduire le blessé à l'hôpital de Lons-le-Saunier. D'autre part le convoyeur Ste. Barbe de Conliège a été blessé légèrement aux mains.

"La maison de Mme. Vve. Gabet a été en partie détruite par le chargement de planches d'un wagon, qui ont été projetées dans le virage.

"La porte en fer forgé de la cour de Mr. Renaud de Maulemain de Neuvy sur Seille a été arrachée en partie.

"En outre le mur de la façade de l'épicerie Grenier Henri a été fortement ébranlé et déplacé par un wagon qui a quitté la voie complètement.

"À ma connaissance, il n'y a eu aucun vol au cours des secours qui ont été organisés."

Lecture faite, persiste et signe.

Me. RIGOULET, (Roger), née Principe, (Hélène), 40 ans, débitante à Conliège, (Jura) déclare :

"Le 11 février 1941, vers 18h45 je me trouvais dans une salle du débit quand j'ai entendu le train descendre de Revigny, en sifflant sans interruption, ce qu'il ne faisait pas ordinairement.

"Depuis l'intérieur de ma salle de débit, j'ai remarqué qu'il marchait plus vite que d'habitude et que quelque chose d'anormal devait se produire. En effet, quelques instants après, j'ai appris que le train venait de dérailler après le virage sur la place."

Lecture faite, persiste et signe.

Mr. FRONTIERE, (Louis), 50 ans, chef de dépôt aux chemins de fer vicinaux demeurant à Lons-le-Saunier 11 rue Louis Rousseau, déclare :

"Il y a environ trois ou quatre mois que le mécanicien Mouchanat, conduit la locomotive n°16. Le 11 décembre 1940, cet agent a signalé que la pompe à air de sa machine avait une avarie. La réparation a été faite immédiatement par l'ajusteur Lançon. Je ne pourrais vous dire en quoi elle consistait, d'ailleurs, je n'en avais pas pris note. Depuis cette date ce mécanicien n'a pas signalé d'autres avaries à cette pompe. Je dois ajouter que la pression de cinq kilogrammes est le régime normal d'une pompe à air qui ne devrait jamais être dépassé pour éviter l'éclatement des tuyaux de caoutchouc.

"Les jours précédant l'accident de Conliège, la pompe a dû fonctionner normalement car le mécanicien ne nous a rien signalé de particulier. Il se peut que le 11 février une avarie se soit produite en cours de route à cet appareil, comme cela arrive fréquemment. un examen par des techniciens pourra nous fixer sur ce point."

Lecture faite persiste et signe.

M. LANCON, (Paul), 41 ans, ajusteur à la Compagnie des C.F.V. du Jura, demeurant Chemin des Princesses à Lons-le-Saunier (Jura) déclare :

"C'est moi qui suis chargé des réparations des machines en service, et quand un mécanicien constate une avarie, il l'inscrit sur le livre des réparations et la réparation est faite aussitôt. C'est ainsi qu'une réparation à faire à la pompe à air a été signalée le 11 décembre dernier, par le mécanicien Mouchanat. Ce travail a été effectué le même jour. C'était la tête de la vis de fixation de la plaque de renversement de la marche qui était cassée. Depuis cette date, aucune avarie n'a été signalée par le mécanicien Mouchanat en ce qui concerne la machine qu'il conduit, notamment pour la pompe à air."

Lecture faite, persiste et signe.

Nous nous sommes présentés à la clinique du Jura à Lons-le-Saunier, et après avoir reçu l'autorisation de M. le docteur Albertin, nous avons reçu la déclaration suivante :

de M. PELLISARD (Ambroise), 28 ans, mécanicien en horlogerie demeurant à Revigny (Jura), né le 28 juillet 1912 à Lavigny (Jura), de Louis et de Barriod (Emma) marié sans enfant, qui déclare :

"Je suis employé en qualité de mécanicien à l'usine d'horlogerir TERRAILLON à Perrigny. Hier 11 février 1941, j'ai quitté mon travail à 18h30', pour rentrer à mon domicile à Revigny. Vers 19 heures environ, sur le chemin du retour, je me suis arrêté à Conliège chez M. CHEVILLOT, pour lui donner une montre à réparer. J'avais déposé ma bicyclette contre le mur de l'immeuble Chevillot. Je suis resté chez ce dernier environ cinq minutes. En sortant autant que je puisse me souvenir, j'ai dû prendre ma bicyclette à la main et faire quelques mètres à pied. Il me semble avoir entendu siffler le tramway qui devait descendre, cependant je ne me rappelle pas l'avoir vu, ni dans quelles circonstances j'ai été blessé. J'ai dû m'évanouir et mes souvenirs ne sont à peu près précis que depuis l'instant où j'ai été soigné à la clinique où je me trouve.

"Je ne puis préciser si au moment où j'ai été blessé, j'étais monté sur ma bicyclette, ou à pied, ni si j'étais sur la droite de la chaussée. Je ne puis vous fournir pour l'instant d'autres renseignements en ce qui concerne cet accident.

"Je ne sais exactement la gravité de mes blessures le docteur ne m'ayant encore rien dit. Je souffre de la tête qui doit porter une grosse plaie et je tout courbaturé.

"Je ferai parvenir à M. le Procureur de la République un certificat médical, dès que le docteur le jugera utile."

Lecture faite, persiste et signe.

M. le DOCTEUR ALBERTIN, directeur de la Clinique du Jura, nous a déclaré que M. Pélissard, (Ambroise) présentait une plaie au front sans lésion osseuse sous jacente, mais qu'il ne pouvait pour le moment déterminer l'incapacité de travail, ni l'infirmité consécutive.

Nous mentionnons que lorsque nous sommes arrivés sur les lieux de l'accident, le personnel du tramway accidenté, qui se composait du mécanicien MOUCHANAT, du chauffeur FAIVRE, du Chef de train SAINTE BARBE, et du contrôleur TRAMU, était de sang-froid et ne paraissait pas pris de boisson.

D'autre part, nous avons constaté que les freins de plusieurs wagons étaient encore serrés après l'accident. Les patins adhéraient encore aux roues et ces dernières avaient chauffées.

Nous avons vérifié le carnet de réparations de l'Ajusteur LANCON et avons constaté qu'effectivement une réparation de la pompe à air de la locomotive n°16 y était inscrite à la date du 11 décembre 1940.

Quatre expéditions signées : Première à Monsieur le Préfet du Jura, par la voie hiérarchique ; Deuxième, à Monsieur le Procureur de la République à Lons-le-Saunier ; Troisième à Monsieur le Commandant du Département Militaire, par l'intermédaiaire de M. le Comandant de la Place. Quatrième aux archives.

n°1381/3- Vu et transmis à Monsieur le Chef d'Escadron Commandant la Compagnie de Gendarmerie du Jura. Lons-le-Saunier le 14 février 1941. Le Captitaine NICOLAS, Commandant la Section.

1650/3 Vu et transmis par le Commandant de la Compagnie de Gendarmerie du Jura à Monsieur le Préfet du Jura Le 15 février 1941.

copyright Elie Mandrillon 2005