Le réseau des C.F.V. du Jura

Rapport d'expertise, suite à l'accident du 11 février 1941

CHRETIN Avoué

ACCIDENT DU TRAMWAY DE CONLIEGE

RAPPORT D'EXPERTISE

À la suite d'un acident de chemin de fer provoqué par le déraillement d'un train de marchandises de la Compagnie des chemins de fer vicinaux du Jura, dans le village de Conliège, je fus nommé expert avec la mission suivante :

"Prendre connaissance du dossier d'instruction au cabinet du Jura

"Examiner au dépôt des chemins de fer vicinaux à Lons-le-Saunier la locomotive n°16 et les wagons qui composaient le train de marchandises accidenté.

"Dire notamment si les freins Westinghouse sont en bon état de marche, si la pompe à air de la locomotive n'aurait pas besoin de réparations.

"Faire toutes constatations techniques sur le fonctionnement de cette pompe, des freins, et sur la pression de l'air comprimé obtenue avec cette pompe.

"Indiquer pour quelles raisons le train accidenté n'a pu s'arrêter sur la descente précédant l'accident.

En conséquence, je me rendis à Lons-le-Saunier, les mardi et mercredi 6 et 7 mai.

Après avoir pris connaissance du dossier chez M. le juge d'Instruction, je me rendis avec lui au dépôt des chemins de fer vicinaux et décidais de procéder l'après-midi au démontage de la pompe à air, puis, après l'avoir démontée et l'avoir examinée, je décidai de procéder au lendemain matin à des essais de ladite pompe.

Ces essais et démontages eurent lieu en présence des tiers intéressés à savoir, le mécanicien de la locmotive le jour de l'accident, le contremaitre de l'atelier des réparations et le directeur du dépôt des C.F.V. à Lons-le-Saunier. M. le juge d'instruction procéda à la rupture des scellés.

DEMONTAGE DE LA POMPE A AIR :

1°) cylindre à air - D'une manière générale quelques matages sans importance dans l'huile on a remarqué quelques grains de rouille mais on doit reconnaitre que leur présence est normale et ne présente aucun caractère insolite. La boite à clapet inférieur a peu de matage mais permet un bon fonctionnement. Les clapets supérieurs d'aspiration et de refoulement sont en bon état.

2°) cylindre à vapeur - Dans le clapet de renversement de marche les deux segments sont cassés ; une cassure parait plus ancienne sans qu'on puisse préciser si elle date d'avant l'accident.

À l'examen plus approfondi effectué aux ateliers de l'Ecole Centrale lyonnaise il n'a pas été possible d'affirmer catégoriquement qu'elle date d'avant l'accident quoique ce soit l'hypothèse la plus plausible.

Le segment supérieur du piston inférieur de la glissière principale est manquant mais son absence doit être antérieure à l'accident car on a trouvé aucun débris dans le cylindre.

ESSAI DE LA POMPE A AIR :

Après constatation du mauvais état du cylindre à vapeur de la pompe à air, il est décidé de mettre le lendemain matin la locomotive sous pression pour procéder aux essais de la pompe à air.

Un premier essai est fait en laissant la pompe à air dans l'état où elle se trouvait tout de suite après l'accident. il est alors constaté que la pompe à air ne fonctionne absolument pas, ce qui du reste était à prévoir. Un second essai est fait après avoir remis un segment supérieur au piston inférieur. Cet essai est à nouvaeu infructueux.

Un troisième essai est fait après avoir remplacé les deux segments cassés du clapet de renversement de marche. La pompe à air fonctionne alors normalement et l'on arrive à obtenir une pression de 5kgs d'air dans les réservoirs en moins de 15 minutes.

Cela montre que le non fonctionnement des freins provient de l'état dans lequel se trouvait le cylindre à vapeur de la pompe à air et notamment de la cassuer des deux segments.

L'examen des wagons n'est pas entrepris. En effet, la plupart de ceux de l'accident ayant été remis en service, ceux qui n'ont pas été remis en service par suite de leur mauvais état, ne peuvent rien montrer car même le mauvais fonctionnement de frein n'aurait pas pu entrainer l'accident par eux seuls, et le non fonctionnement de la pompe est la cause certaine de l'accident.

CONCLUSIONS :

Pour que le frein fonctionne bien il faut qu'une pression de 3 kgs 500 puisse être maintenue dans les réservoirs à air situés au-dessus de la locomotive.

Vu la longue descente rapide qui précède Conliège, il est nécessaire que la pompe à air fonctionne pendant la descente pour pouvoir maintenir la pression dans le réservoir à air car sa capacité est manifestement insuffisante pour assurer le fonctionnement des freins si on ne l'alimente pas.

Pour effectuer également cette descente il fallait donc :

1° - avoir au départ une pression d'au moins 4 kgs 500

2° - surveiller en permanence cette pression de façon à avoir le temps d'arrêter le convoi si celle-ci faiblissait.

Il semble que ces 2 conditions ne furent pas observées. En effet :

1°) le mécanicien prétend s'être plaint avant l'accident du mauvais état de la pompe à air et avoir de la peine à atteindre une pression de 4 kgs. ceci est très possible car l'examen prouva que la pompe était en mauvais état avant l'accident et il est fort possible que l'on ne pouvait dépasser 4 kgs de pression.

2°) Ce point mis en évidence, ne pouvait qu'inciter le mécanicien à vérifier constamment cette pression pour être en mesure d'arrêter le convoi au plus léger fléchissement de celle-ci et il est certain que cette vérification devait se faire chaque minute. Or il semble bien que le mécanicien s'est laissé surprendre par l'arrêt brutal de la pompe à air à un moment où la pression restante dans les réservoirs était insuffisante pour arrêter le convoi.

Quant au non fonctionnement de la pompe à air, il faut l'attribuer à une cause fortuite complètement indépendante de la volonté du mécanicien. Il faut l'attribuer à l'état de vétusté du matériel employé mais on peut dire que, en augmentant la surveillance de la pression l'accident aurait pu être évité.

Lyon le 30 juillet 1941, L'Ingénieur Expert : s/ RAMBAUD

pour copie conforme, Lons-le-Saunier le 9 octobre 1941, L'Ingénieur en Chef

copyright Elie Mandrillon 2005